Mémoire

L’illusion, un problème de mémoire

un problème de mémoire
Ecrit par Jean-Yves Ponce

Bonjour à toutes et à tous on va régler un problème de mémoire,

Aujourd’hui j’accueille pour la seconde fois sur Potion de Vie Vincent Delourmel, mnémoniste et magicien. Pour vous rafraîchir la mémoire (;)), vous pouvez retrouver l’interview que j’avais faite de lui sur cet article.

J’ai demandé à Vincent s’il voulait bien vous concocter un article qui traitait justement spécifiquement de ses deux activités : la mémoire et la magie.

Il a gentiment accepté, je vous laisse découvrir cet article avec en cadeau bonus, un tour surprenant avec lequel vous pourrez épater vos amis ainsi que l’adresse vers ses fabuleuses conférences vidéos sur la mémoire !

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Quand un numéro de magicien est terminé, que reste-t-il ? Un souvenir qui, par définition, est interprété. Les magiciens connaissent bien ce phénomène : entre l’illusion proposée et ce que racontent les spectateurs après coup, il existe de nombreuses exagérations qui contribuent au caractère exceptionnel d’un tour de magie.

Comment fonctionne réellement la mémoire ?

Tout d’abord, parler de « la » mémoire est une erreur. Nous devrions plutôt évoquer un système de mémoires qui engloberait :

–           la mémoire sémantique, celle qui vous permet de donner du sens aux informations. C’est dans cette mémoire que sont stockées vos connaissances, sur lesquelles vous vous appuyez pour, entre autre, résoudre des problèmes ;

–           la mémoireépisodique qui n’est ni plus ni moins que votre mémoire personnelle, c’est-à-dire celle qui vous permet de stocker vos expériences de vie. On l’appelle aussi mémoire autobiographique. C’est plutôt de cette mémoire là dont vous vous plaignez lorsque vous avez le sentiment d’oublier : ce que vous avez fait la veille par exemple ;

Ces deux premières formes de mémoires sont dites explicites (ou déclaratives), dans le sens où on se souvient des conditions de mémorisation. Ainsi, vous vous rappelez certainement l’origine du 11 septembre 2001 (le World Trade Center, souvenir plutôt épisodique) et ses implications : la guerre en Afghanistan (souvenir sémantique).

–           la mémoireprocédurale, qui stocke vos automatismes : faire du vélo, conduire, marcher… Toutes ces actions inconscientes de votre quotidien qui vous facilitent la vie sont situées dans cette forme de mémoire.

Cette dernière forme de mémoire est dite « implicite » parce qu’elle est inconsciente : on apprend par la répétition, le conditionnement, sans s’en rendre vraiment compte. Plus exactement, nous pourrions désigner mémoire procédurale tout ce qui touche aux automatismes physiques et mémoire implicite tout ce qui touche aux automatismes liées au savoir : la table de multiplication, certains proverbes, c’est-à-dire les apprentissages « par cœur ».

Dans tous les cas, retenez que les mémoires procédurales et implicites sont des mémoires automatiques.

Puis il y a les différents niveaux de mémorisation :

–           Un problème de mémoire sensorielle :

elle est très brève, de l’ordre de quelques millisecondes. Elle s’appuie sur les sens et vous permet de retenir une information suffisamment longtemps pour agir – ou non – dessus. Ainsi, lorsque vous lisez ces quelques mots, vous impliquez d’abord votre mémoire sensorielle. Suivant si vous êtes fatigué ou non, vous parvenez à suivre le fil de votre lecture. Vos sens vous permettent de retenir l’information afin de créer une logique entre les mots. Au contraire, si vous êtes fatigué, vous voyez les mots, mais vous ne les retenez pas, du moins pas suffisamment longtemps d’un mot à l’autre ;

–           La mémoire de travail :

elle vous permet de réaliser les tâches du quotidien, du présent. Quand vous décidez d’appeler quelqu’un par exemple : vous vous répétez mentalement le numéro dans votre tête pour le composer. Une fois que c’est fait, vous passez à autre chose et, si vous n’aviez jamais utilisé ce numéro auparavant, il y a de fortes chances pour que vous l’oubliiez rapidement ;

–           Un problème de mémoire à court et moyen terme :

vous pouvez avoir rencontré des personnes lors de vacances. Vous les avez côtoyées suffisamment longtemps pour les reconnaître et les nommer quelques jours, voire quelques semaines ou mois. Puis, si vous n’avez plus de nouvelles de ces personnes, l’information va progressivement s’effacer, un peu comme un chemin qui serait laissé à l’abandon ;

–           Un problème de mémoire à long terme :

c’est la mémoire la plus résistante. Les informations qui s’y trouvent ont été suffisamment manipulées et réactivées pour être définitivement ancrées dans votre cerveau. A partir de cet instant, vous retrouverez le chemin pour accéder à ces souvenirs : le prénom de vos frères et sœurs, la signification du mot voiture etc…

Votre mémoire est donc très influençable. Elle n’est pas absolue et sujette à l’oubli. Qu’est-ce qui provoque cet oubli ? Il y a les interférences mais aussi le temps qui passe. Ainsi, une information qui n’est pas suffisamment réactivée va progressivement s’effacer. C’est ce qu’on appelle « la courbe de l’oubli ».

La courbe de l’oubli montre une diminution très rapide de la mémorisation. Ainsi, au bout de 9h00 environ, il ne resterait plus que 40% de l’information mémorisée. La courbe ralentie sa chute ensuite sur le plus long terme, l’oubli n’est jamais total.

un problème de mémoire

Votre mémoire construit vos souvenirs en fonction de vos valeurs, vos croyances, votre éducation. Combien de fois avez-vous exagéré ce que vous aviez pu voir, que ce soit au cinéma, au cours d’un spectacle ou lors d’événements dramatiques comme un accident ?

Les magiciens savent très bien tirer parti de ce phénomène à leur avantage. Ainsi, tout au long de leur numéro ils distillent ça et là des informations souvent erronées pour vous empêcher de trouver le truc. Ils peuvent par exemple vous faire choisir une carte, la remettre dans le jeu et vous faire couper ce jeu.

Plus tard, lorsqu’ils s’apprêteront à révéler la carte choisie, ils pourront par exemple insister sur des détails qui ont de l’importance. Ils vous diront par exemple : « Vousvoussouvenezquevousavezchoisinimportequellecarte(c’est vrai)?Quecettecarteaétéremisenimportedanslejeu (c’est vrai)?Quaprèsvousavezmélangélejeu(c’est faux, vous avez juste coupé)?Danscesconditions,ilparaîtimpossiblederetrouvervotrecarte,nest-cepas?».

Tout l’art du magicien consiste à créer le doute chez vous. A travers les questions précédentes, il vous force à dire oui, sachant pertinemment que vous ne savez déjà plus ce qui s’est passé. Il vous reste une impression. Mais, à part le magicien, qui se rappelle si vous avez coupé le jeu ou si vous l’avez mélangé ?

Le but est bien évidemment de vous laisser le souvenir que tout a été réalisé le plus honnêtement possible. Plus tard, vous-même déformerez la réalité. Vous direz en toute bonne foi que vous avez mélangé le jeu au départ, que vous avez choisi n’importe quelle carte, mélangé à nouveau le jeu et que, malgré ces conditions impossibles, le magicien a retrouvé la carte choisie.

C’est ce qu’il restera dans votre mémoire. Et vous jurerez que c’est vrai. Leffetdevague fera le reste : vous contaminerez vos amis qui propageront, avec leur interprétation, ce que vous avez transmis. Il s’agira d’un faux souvenir.

L’un des faux souvenirs les plus célèbres est le fameux tour de la corde hindoue. Qui n’a jamais entendu parler de ce mythe ? Un fakir jette une corde en l’air : cette dernière tient toute seule, sans aucune attache. Puis, il grimpe à cette corde sans aucun problème et demeure ainsi en lévitation. Si vous lisez les témoignages qui font écho de cette histoire, vous apprendrez que toute l’expérience s’est déroulée en extérieur, en pleine lumière, entourée de personnes dont certaines étaient scientifiques.

Où est la vérité ? Un problème de mémoire ?  Ailleurs, comme bien souvent. Dans son livre « TheRiseOfTheIndianRopeTrick », Peter Lamont, historien et magicien, révèle les dessous d’un incroyable canular qui a fait le tour du monde.

Tout commence en 1890. Un journaliste du Chicago Tribune publie un article dans lequel il affirme avoir été témoin du phénomène en Inde : un fakir capable de commander l’ordre à sa corde de se tenir droite avant d’y grimper. Pressé de toutes parts, plusieurs mois plus tard, le journaliste en question publie cette fois un mea culpa et se rétracte : l’affaire est un hoax, il n’a jamais rien vu de tel. Il a tout inventé.

Le problème, c’est que l’histoire s’est déjà propagée et certaines personnes se sont même appropriées le mythe. Elles prétendent être allées sur place et vont plus loin : le fakir lance une corde qui va jusque dans les nuages. Il fait monter son jeune assistant qui se cache au-dessus de ces derniers. Le fakir le suit avec un sabre et, sous couvert des nuages, le découpe en morceaux. Ici et là tombent la tête, une jambe, un bras… Le fakir redescend, récupère tous les membres et les places dans un panier : le jeune homme en ressort parfaitement indemne.

Cette histoire montre bien le rôle de l’imagination : d’une histoire déjà « abracadabrante », le mythe de la corde hindoue est devenu un véritable miracle… que personne n’a jamais vu.

Au fait : comment s’appelle l’auteur de « TheRiseOfTheIndianRopeTrick » ? Vous avez lu son nom quelques lignes plus haut. Si vous ne vous en souvenez plus, rassurez-vous, vous ne souffrez pas d’Alzheimer ni d’amnésie. Vous êtes victime d’une interférencerétroactive.

Entre le moment où vous avez lu son nom et ces quelques lignes, il s’est passé un temps durant lequel votre attention a été attirée par d’autres informations. Rappelez-vous que votre mémoire vous sert avant toute chose à vivre l’instant présent : c’est le rôle de la mémoire de travail. Or, une des règles essentielles à toute mémorisation sur le moyen et le long terme, c’est la répétition, le temps que vous passerez sur l’information.

Dans votre quotidien, vous vous appuyez donc sur votre mémoire de travail, qui est brève. Les magiciens utilisent consciemment cette particularité : ils savent très bien que plus ils éloignent dans le temps la méthode utilisée de l’effet (le tour), moins il vous est facile de trouver le truc. Ils créent donc une interférence qu’ils appellent parenthèsedoubli ou encore timemisdirection. Cette parenthèse d’oubli permet à l’illusionniste de brouiller les pistes : le spectateur ne sait plus si le jeu a été mélangé, si la carte a bien été remise dans le paquet etc…

Que se passerait-il si vous aviez une mémoire absolue ? Photographique ? Pour les magiciens, cela serait plus compliqué. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils n’aiment pas l’œil de la caméra : ils savent très bien qu’il s’agit là d’une forme de mémoire totale. Le téléspectateur averti peut très bien enregistrer la séquence et la visionner encore et encore jusqu’à ce qu’il trouve la faille.

Le tour de magie pour un problème de mémoire :

Demandez à une personne d’écrire sur un papier un nombre à 5 chiffres.

Demandez ensuite à une seconde personne d’en écrire un également à 5 chiffres sous le premier.

Pendant ce temps, de votre côté, vous écrivez une prédiction sur un bout de papier que vous pliez en 4.

Puis vous inscrivez vous même un troisième nombre à 5 chiffres sous les 2 premiers. Une troisième personne inscrit un quatrième chiffre et vous en inscrivez un dernier. Au total, il y a 5 nombres à 5 chiffres.

Vous invitez le premier spectateur à additionner tous ces nombres avant de lui remettre votre prédiction : les résultats concordent !!

Explications

C’est très simple ! Suivez bien. Tout d’abord, la prédiction : elle dépend du premier nombre.

Si le spectateur écrit par exemple 27654, votre prédiction sera 227652.

Comment ça marche ?

Comparez les deux nombres : 27654 et 227652.

J’ai pris 27654, j’ai ôté « 2 », ce qui donne 27652. Et j’ai juste mis le « 2 » que j’ai ôté devant 27652, ce qui donne 227652…

Autre exemple : si le premier spectateur écrit 13987, votre prédiction sera 13987 – 2 = 13985 devant lequel je mets « 2 », soit 213985 ! Vous comprenez ?

Très bien, votre prédiction est écrite pendant que le second spectateur écrit un second nombre…

A votre tour d’en inscrire un. Pas n’importe lequel ! Vous allez amener chaque chiffre du deuxième nombre à 9.

Par exemple, imaginons que le second spectateur écrive 15234. Juste en dessous vous écrirez 84765. Car 8+1 = 9, 4+5 = 9, 7+2 = 9 etc…

S’il avait écrit 56941, vous auriez écrit 43058.

Vous faites la même chose avec le troisième spectateur. On vérifie ?

Le premier spectateur écrit donc 27654.

Votre prédiction : 227652

Le second spectateur écrit 35621.

Vous écrivez : 64378

Le troisième spectateur écrit 11487.

Pour finir vous écrivez : 88512

On additionne :

27654 +

35621 +

64378 (votre nombre) +

11487 +

88512 (votre second nombre)

_______

227652 => votre prédiction !

Etrange, non ?

Ce tour est très simple à réaliser, même s’il m’a fallu quelque dizaine de lignes pour vous l’expliquer !

 

***

Encore merci pour cet article Vincent sur un problème de mémoire bien connu !

un problème de mémoire

 Vincent est également agrée formateur dans le domaine de la mémoire !

 Il y a quelques jours, il a publié une série de vidéos conférences passionnantes sur la mémoire !

 Si le domaine vous intéresse, je vous encourage fortement à découvrir cette série.

 Cliquez sur le lien ci-dessous pour un problème de mémoire

Cliquez ici pour découvrir les vidéos conférences de Vincent 

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9 Commentaires

  • Bonjour,

    C’est étrange que les gens ne se souviennent pas d’avoir juste coupé les cartes et non de les avoir mélangées! Il me semble que ce détail est évident. Je vais porter attention à cela la prochaine fois : ce que dit le magicien qui est vrai par rapport à ce qui est faux! Si j’en suis capable! 😉

    Si je ne me souviens plus du nom de l’auteur de «The Rise of the Indian Rope Trick » quelques lignes plus tard c’est parce que pour moi son nom importait peu pas plus que le titre de l’ouvrage.

    Le truc avec les nombres, je l’essaie dès que j’ai le nombre de personnes nécessaires, question de les épater et de leur faire croire que je suis devenue magicienne!

    Merci pour cet article!

    Sco! 🙂

    • Et pourtant je t’assures que notre mémoire à très court terme et notre attention sont facilement détournées par les praticiens de l’illusionnisme !
      A chaque fois je me fais avoir, mais ca ne me dérange pas, j’aime me laisser porter par la magie, je suis « bon public » 😉

  • Merci jean yves pour ce tour de Magie, je suis resté un enfant dans ce domaine.

    Même quand on trouve l’astuce on aime se laisser prendre au jeu, tout simplement peut être parce que c’est bon de rêver.

  • En fait, le principe de la parenthèse d’oubli est basé sur ce qu’on appelle la cécité par inattention. Et c’est permis par notre incapacité à prévoir en temps réel ce qui va se passer. C’est aussi pour cette raison que les magiciens ne font pas deux fois le même tour de magie ! 🙂

    Merci à Jean Yves pour avoir publié cet article !

  • Bonsoir,

    Merci pour ton commentaire sur Orpea.

    Sans aucun rapport avec l’article, j’ai eu perte de mémoire aujourd’hui sachant que j’ai presque la trentaine.
    Je m’explique :
    Ce matin, j’ai garé ma voiture proche d’une gare à 10 km d’une autre proche de mon domicile. Le soir, en rentrant du boulot, je descends du train mais quelques minutes après j’étais en train de tourner en rond pour retrouver ma voiture. Ainsi, je me suis poser la question en me rendant compte que j’étais à la gare proche de mon domicile. Quel idiot !!

  • C’est vraiment passionnant ce que l’on peut comprendre en découvrant les ressorts de la mémoire. Merci pour le tour de magie, je vais tester ça très prochainement!

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